Isolés en saison des pluies, les habitants de Kouassi Datekro lancent un appel à l’aide

Publié le 29 oct. 2024 à 13:32

  • Isolés en saison des pluies, les habitants de Kouassi Datekro lancent un appel à l’aide

À 97 kilomètres de Koun-Fao, chef-lieu du département, la petite localité de Kouassi Datekro se retrouve chaque année coupée du monde lors de la saison des pluies, entre septembre et novembre. Le village, habité par le peuple Bini, se voit complètement isolé, un bras du fleuve Comoé inondant l’entrée de la sous-préfecture et rendant l’accès impossible.

Face à cette situation devenue habituelle, les habitants, exaspérés, lancent un nouvel appel à l’aide, espérant enfin capter l’attention des autorités. Dimanche 27 octobre 2024, après une expédition de deux heures sur une piste de terre défoncée, l’AIP a rejoint cette commune isolée où chaque arrivée de visiteurs est à la fois un espoir et une source de frustration. Les habitants déplorent une absence de solution durable, malgré les nombreuses promesses

Une vidéo devenue virale sur les réseaux sociaux témoigne de cette détresse. Face caméra, des habitants expriment leur incompréhension et leur colère, dénonçant "l’inaction" des autorités face à une situation qu’ils endurent chaque année. Les paroles résonnent avec l’angoisse d’une communauté qui voit ses activités paralysées par la montée des eaux, et sa vie quotidienne réduite à l’attente de jours plus cléments.

Des routes impraticables et des vies suspendues 

Pour se déplacer, les plus téméraires utilisent une pirogue de fortune fabriquée par des villageois avec l’aide d’un cadre local. Ce frêle esquif devient le lien vital pour aller chercher de quoi se nourrir ou rejoindre leurs plantations, de l’autre côté de la rive inondée. Mais l’opération est périlleuse : la moindre montée d’eau rend cette traversée dangereuse.

Les voies de contournement de cette ville, soit 18 km par la localité de Sandegué et 60 km en partant de Tanda à  Sandégué, ou d’Agnibilekrou à  Kouassi Datekro, 97 km, ne sont guère plus accessibles pendant la saison des pluies. Avec des cratères, des rigoles et de la boue, elles se transforment en pièges pour les véhicules, laissant les habitants dans un isolement presque total. "Nous vivons comme sur une île, prisonniers de cette nature qui se déchaîne", résume Kobenan Atta Louis, le président des jeunes du village.

Les conséquences sont gravissimes. Les activités de transport, de commerce des produits agricoles, de retraits bancaires et prise en charge des malades pour des cas d’urgence, se trouvent affectées.

Drames et commémorations

Sur la berge, deux tombes rappellent des drames passés : celles d’un élève et d’un commerçant, noyés lors de tentatives de traversée il y a quelques années. Leurs corps reposent à l’entrée du village, mémoire collective des dangers qui planent sur chaque tentative d’accès au reste du pays.

Les témoignages de souffrance et de résilience s’enchaînent. "Tous nos champs sont de l’autre côté de la rivière. Comment nourrir nos familles si nous ne pouvons pas y aller ?", demande un jeune du village, déterminé mais résigné. Les femmes et les enfants bravent aussi le fleuve pour assurer les besoins quotidiens, marchant dans une eau qui "arrive aujourd’hui à la hanche", nous lance une mère en traversant prudemment.

La colère des habitants

Arrivés sur le pont, nous sommes accostés par des femmes qui, portées par la colère, nous lancent un regard dédaigneux. Elles semblent traduire leur indignation devant ces énièmes visiteurs, toujours présents. Mais dont les solutions tardent à combler leur vie de bonheur en temps de pluie.

Un autre paysan, nous fusille du regard.  ” Vous les hommes de la presse, vous venez et partez sans apporter une solution à notre détresse”, a-t-il dit.

” Les gens viennent nous voir, ils prennent des photos, font des tracés et après plus rien. Nous souffrons. Regardez ce bateau de fortune là, c’est le moyen pour aller prendre des provisions pour le repas quotidien. Avec souvent la montée des eaux. nous restons couper du reste du monde”, a-t-il déploré, ajoutant, “Je tente de le rassurer. En vain”.

Pour l’ancien président des jeunes, Daouda Adama, présent sur les lieux, ces attitudes témoignent de leurs souffrances. “Tous nos champs sont de l’autre coté de la rive. Nous sommes obligés de prendre cette voie pour pouvoir y accéder et nourrir nos familles”, a -t-il dit.

Sur place, il nous rassure et nous trouve la fameuse pirogue pour nous rendre au village. Nous y montons avec peur et tremblement, devant ces vents, qui disent – ils, guident cet instrument sur la berge.

Sur la berge, stupéfaits, nous constatons, que des femmes avec leur enfants bravent le fleuve pour se rendre dans ce village. ”L’eau, aujourd’hui, nous arrive à la hanche. Ça peut aller”, lance une femme.

Au village, nous rencontrons le président des jeunes, Kobenan Atta Louis et le chef du village, qui nous donnent leurs versions. “La rivière N’Djorè, qui est sorti de son lit,  monte et prend une partie de la route, après le pont. Nous sommes obligés de faire confectionner une pirogue. Cela fait dix ans que nous vivons ce problème”, ont-ils  expliqué.

Selon M. Kobenan, des études ont été menées par le  Laboratoire du bâtiment et des travaux publics (LBTP) et des travaux préliminaires par le Bureau national d’études techniques et de développement. (BNETD). "Nous attendons leur mise en œuvre.  Les autorités politiques sont informées de cette situation de ce chef-lieu de sous préfecture", a-t-il dit.

Une action attendue, mais qui tarde

Les autorités disent avoir pris conscience de la situation. Selon Abran N’Guettia Béatrice, 3e vice-présidente du Conseil régional du Gontougo, des études ont été réalisées par l’Agence de gestion des routes (AGEROUTE) et le Bureau national d’études techniques et de développement (BNETD). "Des travaux de réhabilitation sont en projet", assure-t-elle, se voulant rassurante : "Je reste convaincue que, dans quelques années, tout cela ne sera qu’un lointain souvenir pour le peuple Bini."

Cependant, sur le terrain, l’impact de l’enclavement se fait déjà sentir au sein des infrastructures locales. Le lycée moderne Essy Amara, qui porte le nom du célèbre diplomate natif de la région, subit lui aussi les conséquences de cet isolement. Faute de routes praticables, les professeurs expérimentés se font rares. Les nouveaux enseignants sont souvent les seuls à pouvoir prendre leur poste, laissant les élèves dans l’attente d’une éducation stable et de qualité.

Pour certains, comme l’ambulancier Daouda Siriki, la situation est devenue insoutenable. Il évoque avec émotion le cas d’une patiente décédée dans son ambulance, faute d’avoir pu être transférée à temps vers un hôpital. "Il faut qu’une solution soit trouvée", martèle-t-il, la voix emplie d’un mélange de colère et de désespoir.

Alors que les pluies continuent de s’abattre sur la région, les habitants de Kouassi Datekro demeurent suspendus à la promesse d’un désenclavement qui se fait attendre.