"Lead Campus, un programme panafricain catalyseur pour le développement de l’Afrique", Bénédicte Faivre-Tavignot et Christelle Bitouzet

Publié le 27 déc. 2022 à 16:17

  • "Lead Campus, un programme panafricain catalyseur pour le développement de l’Afrique", Bénédicte Faivre-Tavignot et Christelle Bitouzet

Présentes à Abidjan dans le cadre du programme "Lead Campus" dispensé aux futurs managers d'entreprise, Bénédicte Faivre-Tavignot et Christelle Bitouzet, co-directrices académiques, nous ont accordé un entretien dans lequel elle expliquent plus en détails, en quoi consiste cette formation.

Pouvez-vous présenter le programme Lead Campus et ses différents modules ? Comment se déroule la formation permettant in fine d’obtenir le certificat ?

Bénédicte Faivre-Tavignot - Lead Campus est une formation d’excellence, dont l’objectif est de former les leaders du continent africain qui veulent accompagner le « développement de l’Afrique par l’Afrique ». Cela s’inscrit dans une perspective double et aujourd’hui indissociable où la performance économique et le développement durable vont de pair. Ce programme s’inscrit dans une triple dynamique de création de valeur, à la fois économique, sociale et environnementale. Notre objectif est donc de former des acteurs du changement, des leaders désireux d’avoir un impact positif sur le continent africain !

Pour rappel, le programme Lead Campus est le fruit d’une collaboration étroite et d’une co-construction entre l’Agence Française de Développement (AFD), l’Université Mohammed VI Polytechnique (UMVIP), l’Université de Cap-Town (UCT), Investisseurs et Partenaires (I&P) et bien sûr HEC Paris. Ce partenariat très actif a favorisé « l’intelligence collective en action ».

Pourquoi avoir fait le choix de développer un programme « itinérant » en Afrique ?

Christelle Bitouzet - Nos participants viennent de nombreux pays africains. Dans la seconde promotion qui est en cours, nous comptons 28 participants de 19 pays, provenant aussi bien d’Afrique du Nord, d’Afrique centrale, de l’Ouest, du Sud, de l’Est, ainsi que des participants originaires d’Amérique du Sud mais basés en Afrique.

Nous avons bâti un programme itinérant pour leur permettre d’avoir un point de vue systémique des différentes problématiques de l’Afrique. Cela leur permet également de s’inspirer des Africains des différentes zones qui se mobilisent pour apporter des solutions innovantes aux problèmes actuels.

Notre programme prend son envol au Maroc, avec la mise en place d’un module organisé conjointement avec notre partenaire UMVIP, où nous nous attachons à explorer les défis majeurs que connaît actuellement l’Afrique : géopolitiques, technologiques, environnementaux, sociaux et sociétaux.

Le second module a lieu à Abidjan et est notamment bâti avec I&P. Nous y étudions comment les entreprises classiques peuvent développer leurs performances économiques, notamment en matière de gestion des opérations, tout en réduisant leurs externalités négatives, et en adoptant des pratiques responsables dans leur chaîne de valeur. Nous parlons ici d’agir « avec impact ».

Un troisième module (en réalité intégré dans les quatre modules présentiels) se focalise sur les entreprises qui veulent résoudre des problématiques environnementales et sociales, par des modèles économiques innovants. Nous parlons également ici d’agir « pour l’impact ».

Le quatrième module (le troisième à se tenir en présentiel) est organisé en Afrique du Sud, avec notre partenaire UCT. Nous y étudions les fonctions supports - Ressources Humaines, Marketing et Finance -, dans une triple perspective économique, sociale et environnementale.

Enfin, le dernier module a lieu en France, à Paris et sur le campus de Jouy-en-Josas. Nous y visitons notamment la Station F, - qui est un campus de start-ups -, où nous y rencontrons des entrepreneurs inspirants, qui bâtissent des ponts entre l’Afrique et l’Europe. 

Dans chaque module, une large part est consacrée au leadership individuel : prise de décision, créativité, intelligence émotionnelle, définition de leur raison d’être individuelle, etc. Ces compétences managériales essentielles à acquérir font l’objet d’ateliers interactifs.

Enfin, au long du parcours, les participants travaillent sur leur propre projet, dans lequel ils intègrent notamment les différentes approches étudiées durant le programme. Ils sont, tout le long, accompagnés par un mentor.

Quelles sont, selon vous, les principaux enjeux et mutations que connaît actuellement l’Afrique ?

Bénédicte Faivre-Tavignot - Les mutations et défis que connaît actuellement l’Afrique sont multiples et majeurs. Ils sont tout d’abord géopolitiques et comprennent de forts enjeux d’intégration régionale. Ils sont également sociaux et sociétaux au regard de la forte croissance démographique du continent. En effet, la population devrait doubler d’ici à 2050, avec l’arrivée, chaque année, de 17 millions de jeunes sur le marché de l’emploi, mais un manque de 10 millions d’emplois pour ces mêmes jeunes. Enfin l’Afrique fait face à un défi environnemental en étant l’une des premières victimes du réchauffement climatique, devant ainsi faire face à une chute de la biodiversité, à une raréfaction des ressources naturelles et à des pollutions diverses. Autant de défis environnementaux qui peuvent très profondément affecter le développement de l’Afrique et engendrer des impacts géopolitiques et sociaux majeurs.

Quel rôle l’éducation doit-elle jouer selon vous dans la transformation de l’économie et de l’emploi du continent africain ?

Christelle Bitouzet - Le développement des capacités est un enjeu majeur pour l’Afrique. Comme évoqué ci-dessus, permettre aux jeunes, habitant dans les villes comme dans les campagnes, d’avoir un avenir digne, au travers d’un travail entrepreneurial ou salarié, doit être une priorité absolue. L’enjeu éducatif est d’ouvrir des perspectives, de développer créativité et confiance pour permettre aux populations, jeunes ou moins jeunes, entrepreneuriales ou salariées, d’apporter des réponses aux immenses défis et d’être du côté des solutions plutôt que des problèmes.

Quels sont les leviers permettant d’accélérer l’intégration de  la responsabilité sociétale au cœur de la stratégie des entreprises en Afrique ?

Bénédicte Faivre-Tavignot - L’intégration de la responsabilité environnementale et sociale passe notamment par l’éducation et la formation continue, comme nous cherchons à la faire à travers Lead Campus.  L’enjeu est d’aider les dirigeants à développer une intelligence systémique et une capacité d’anticipation des défis et mutations de l’Afrique et du monde ainsi qu’une capacité à inventer des nouveaux modèles économiques bas carbone, circulaires et inclusifs.

Le développement de la finance à impact, et l’intégration plus globale de critères environnementaux et sociaux dans la finance doit aussi y contribuer.

Les leviers réglementaires et fiscaux sont par ailleurs aussi essentiels ; ainsi que la standardisation des méthodes d’évaluation des performances extra-financières et de l’impact, actuellement en cours.

Enfin la pression des jeunes qui expriment de plus en plus leur refus de rejoindre des entreprises jugées non responsables, ainsi que des consommateurs, davantage soucieux des impacts des produits et services achetés, contribuent à une accélération de cette intégration.

Quels ont été les premiers retours de ce programme ?

Christelle Bitouzet - L’un des premiers retours tangibles de ce programme est la création et le développement de projets entrepreneuriaux d’envergure par les participants de la précédente promotion. Nous pouvons par exemple citer l’impressionnant développement de Coliba, entreprise sociale investie dans le recyclage du plastique en Côte d’Ivoire.

Un autre participant de la première promotion a également rejoint, à la fin du programme, Lumos, une entreprise sociale d’accès à l’énergie pour les villageois des zones rurales de Côte d’Ivoire. Il nous expliquait que Lead Campus avait modifié ses perspectives de carrière, ces dernières intégrant désormais l’impact social et environnemental. Il nous partageait également le sens très fort qu’il trouve à former des jeunes des villages à la maintenance des équipements d’accès à l’énergie, et de voir ainsi ces jeunes « changer de vie ».

Le second retour tangible de Lead Campus est le développement de projets intrapreneuriaux, au sein du Groupe OCP (Office Chérifien des Phosphates) par exemple.

Plusieurs participants de Lead Campus réalisent par ailleurs qu’ils peuvent capitaliser et compléter le certificat Lead Campus pour obtenir un Master HEC (le Master GEMM – Global Executive Master in Management). Celui-ci leur permet alors, outre l’obtention de ce diplôme de Master, de rentrer dans la communauté des « Alumni » d’HEC Paris, réseau très dynamique, au service de leur développement et de l’impact.