L'album de Roseline Layo est un délice mais le clip “Aweman Napié” laisse à désirer

Publié le 27 sept. 2022 à 19:25 Modifié le 30 sept. 2022 à 12:39

  • L'album de Roseline Layo est un délice mais le clip “Aweman Napié” laisse à désirer

Les mélomanes ivoiriens ne cessent d’être impressionnés par la qualité vocale de Layo Roseline, cette artiste chanteuse de nationalité ivoirienne découverte sur les réseaux à cause de la pertinence de son timbre vocal.

Depuis lors, la jeune dame a envahi les réseaux sociaux et aujourd’hui les écrans et les ondes de la radio ne font que solfier Layo Roseline à travers son hit "Donnez-nous un peu", un single à succès qui montrait déjà le plan de carrière de la jeune dame avec un album de 13 titres intitulé "Élus de Dieu" sorti le 25 août dernier. Suivez-nous dans cette analyse-critique pour évaluer le mérite de l’artiste Roseline mais également montrer les insuffisances constatées dans le clip du titre “Aweman Napié”.

Avec Layo Roseline, la musique et le texte ont une importance égale. À travers une harmonisation bien réussie, sa musique instrumentale met ses textes en valeur. Il est vrai que la musique au premier plan est plus importante que les mots mais avec Layo, la qualité de son timbre vocal devient le premier critère. Les paroles des textes chantés de Roseline sont intéressantes. La maîtrise technique des musiciens et de la chanteuse dans ces tubes sont de très bonnes factures.

En ce qui concerne la qualité des compositions des 13 titres, les mélodies, changements de rythme, couplets/refrains, solos, passages instrumentaux, etc. ont tous une belle facture. Avec le groove dans sa voix, cette artiste vous entraîne dans un monde musicalement traditionnel et religieux comme c’est le cas avec les titres « Kinoue », et « Aweman Napié ». Layo chante en langue du terroir Dan (ouest de la Côte d’Ivoire) mais également en français où le nouchi prend tout son sens.  Les tubes « Alloco », « C’est la Vie », « Faut parler » ou encore « Est-ce que tu peux arranger » sont des situations de la vie, des histoires qu’on rencontre dans la vie de tous les jours. Comme le disait l’écrivaine Anzata Ouatara, « on apprend toujours des expériences des autres » et c’est vrai et surtout quand ces histoires sont chantées et orchestrées, on les apprécie mieux.

La tonalité et le rythme de la musique Layo

Layo utilise une variété de tonalité à cause de sa voix chaude et de ses improvisations. Layo alterne vers la tonalité mineure dans certaines de ces chansons à cause de la sensibilité recherchée. C’est bien visible dans ses chansons quand elle décide de changer de rythmes et de mélodies. Vous le verrez dans les titres « Joli Garçon », « Ça pris » ou encore « Foyer ». Dans ces 13 titres que nous avons mentionnés, les sons surprennent agréablement. Les instrumentistes réussissent à bien orchestrer leurs partitions. Ce qui a permis à l'arrangeur, le maestro Tam Sir (arranger de Didi B) d’être beaucoup plus libre dans l’utilisation de style emprunté au zouglou, à la variété avec des brins de gospel.

En réalité, Layo présente les prédispositions d'une excellente chanteuse gospel qui se sent mieux dans un style musical folklore sans précision. La non-volonté de Layo de vouloir s’inscrire dans un genre particulier exprime une certaine liberté recherchée… Mais il est important d’être identifié car la musique a des codes et des règles.

Il faut le dire net, le projet musical de l’album a été accepté par les consommateurs dans toute leur diversité. La preuve est ainsi flagrante sur YouTube. Le nombre de vues explose.  Lorsque nous mettons cet article par écrit, le tube “Aweman Napie”, était à plus de 1 million de vues et plus de 1600 commentaires. Ce titre, quand vous l'écoutez, les folies douces et dures alternent dans tous les styles, pour créer en vous de la déraison ou des fragilités à vos émotions. Vous y laissez toujours l’artiste en gardant un hook.

Pour ceux qui étudient la voix chantée, ils savent que Layo peut évoluer en contraltos (la voix féminine la plus grave). Parlant du rythme, elle alterne du lent, du vif, souvent avec un saccadé modéré (moderato).  La rythmique mouvement, vous la retrouverez dans des morceaux de Layo.

La dimension musicale de Layo part de jour en jour en crescendo ; telle une étoile filante qui laisse des traces musicales sur son passage. Sur cet album, ne vous méprenez pas avec la “déesse” de l’improvisation vocale avec son groove. Surtout le swing qui par sa caractéristique dans sa musique vous détendra par sa rythmique d'allure balancée et décontractée.

Dans la plupart des 13 titres, on s’aperçoit qu’il y a un texte qui épouse non seulement la mélodie, mais aussi les émotions. La maîtrise des sujets qu’elle aborde dans sa musique confère à sa voix, une certaine dépendance qui lui permet une meilleure rythmique qui stabilise ces variations personnelles. Layo sait toucher à la sensibilité de ses fans. Vous n’avez pas besoin de comprendre les phrases pour vivre ce qu’elle partage, ou l’histoire qu‘elle raconte. Votre émotion vous la raconte. Layo utilise beaucoup les tonalités mineures quand elle chante en langue. En réalité, la musique traditionnelle africaine utilise beaucoup les tonalités mineures à cause de la sensibilité recherchée. La ponctualité des phrases musicales traduite par les silences momentanés dans sa musique lui donne du soufflé.

Le seul bémol de Layo est le clip de "Aweman Napié" qui est de mauvaise facture

Le titre ‘’Aweman Napié” (Zlanpie) chanté en langue Dananéen voudrait littéralement dire "je loue mon Dieu’’ ou ‘’je parle de mon Dieu’’. Certaines phrases notamment celles du refrain “Aweman Zlanpie” évoquent ‘’Dieu’’ le créateur comme celui dont elle parle, qu’elle loue. Dans le premier couplet, Layo entame ses actions de grâce envers Dieu en ces termes : “E ZLAN E MA SE KOR, YE MA NAHAN DA MO’’ qui signifie littéralement “Dieu crée le ciel et la terre” et sûrement ce qui respire. Au nom de ce qui respire figure l’humain. La vie humaine est pure grâce et en jouir avec les commodités est encore pure grâce. Et Layo en est témoin. Dans cette musique et le clip, le sujet principal est Dieu. Malheureusement l'illustration dansée ‘’sape’’ le message principal de la chanteuse.

La direction artistique d'un projet n’est pas que l'affaire des passionnés, c'est aussi le travail des professionnels des industries culturelles et créatives. En vérité, la passion seule ne suffit pas, elle a aussi besoin de quelques connaissances culturelles pour éviter cette superposition inutile dans ce clip de "Aweman Napié".

La scénarisation dans ce clip est un échec. Par contre le chant est intéressant. Nous l’avons déjà dit. Au-delà des performances vocales, le travail que fait la chanteuse est une communication et donc passer à côté de ces codes élémentaires de la communication culturelle ne glorifie pas l'artiste mais expose les limites de son équipe et de sa direction artistique.

Par ailleurs, elle chante pour la gloire de Dieu. Elle remercie Dieu pour ce qu'il a fait dans sa vie, c'est bien mais ce qui ‘’turlupine’’ l'esprit critique, c'est de n'avoir pas vu un seul édifice ou outil en lien avec l'univers chrétien dans le clip. Par contre Roseline vulgarise plutôt des statuettes, des masques, des animaux sculptés qui relatent des informations différentes des paroles dites par l'artiste dans le chant. Sont-ils les dieux dont-elle parle ? Elle est pour finir dans un demi-cercle pour magnifier ce ‘’dieu’’ tout en étant dans le même costume que les initiés. Il est fréquent sur nos tropiques de confondre beaucoup compétences et notoriété. Sinon, comment comprendre ce désordre sémiologique.

La direction artistique de Roseline ne peut également pas considérer le guerrier, ses acolytes, les statuettes et l'animal sculpté comme les esprits du mal puisqu'elle danse avec eux et est même dans le même costume du groupe. Dire que c'est cette culture traditionnelle Atchan qu'elle appelle Dieu et qu'elle prie est une autre réalité qu'il faut pouvoir bien expliciter. Le paradoxe ici est très flagrant. Celle qui vient de l’ouest décide carrément de rompre avec des habitudes artistique et culturelle Dan pour emprunter une autre culture attié. Ce n’est pas totalement mauvais mais la cohérence artistique voudrait que les choses se fassent dans les règles de l’art.

Ce regard critique n’est pas un acte de tribalisme. Loin de nous cette orientation. Ce que nous voulons faire comprendre est la nécessité de facilité l’éducation artistique chez le public. Les images combinées doivent aider le public à lire facilement l'intention du scénario malheureusement nous assistons ici à un désordre sémiologique et sémantique. Du point de vue de l'éducation artistique du public, que doit-on retenir de cette scène ? Exécuter des pas de danse Ebrié avec des chansons en langue Yacouba traduit tout le désordre artistique dont Layo est victime.

La danse traditionnelle répond à un certain ensemble de déterminants esthétiques, éthiques et patrimoniaux qui lui donnent un sens et lui permettent de penser ses modes de fonctionnement et de représentativité. En quoi la phase initiale évoquant l’agban-gnan était utile ici ?

Pourquoi vouloir toujours copier sans comprendre au préalable le cadre ou la circonstance d'exécution ? Pour éviter certaines erreurs de composition, il faut d'abord maîtriser le sens premier d'un répertoire avant de passer à sa contemporanéité. Nous allons nous arrêter ici pour observer. Le bon sens artistique recommande à Roseline de s’entourer de professionnels. Nos regards sont braqués sur elle désormais.

Et à vous les consommateurs, si vous achetez l’album de Layo en CD ou sur streaming, vous verrez sur la pochette, son visage avec un beau sourire.  Sachez qu’il s’agit d’une révélation vocale sans pareil dont le visage traduit un espoir. Celui d’une grande révélation et une carte postale pour l’ouest montagneux et la Côte d’ivoire dont elle est devenue la nouvelle ambassadrice.