Le groupe Etat islamique (EI) sous pression pour exister après l'attaque du Hamas sur Israël

Publié le 12 janv. 2024 à 12:59

  • Le groupe Etat islamique (EI) sous pression pour exister après l'attaque du Hamas sur Israël

Crédit Photo : Autre Presse

Le groupe Etat islamique (EI) a beau considérer le mouvement islamiste palestinien Hamas comme un "apostat", son attaque du 7 octobre force la centrale jihadiste à reconquérir une légitimité de premier plan dans sa guerre contre Israël et ses soutiens.

Cette attaque, la plus sanglante de l'Histoire d'Israël (1.140 morts, 250 otages), a durablement placé la bande de Gaza et le Hamas au cœur des priorités des chancelleries du monde entier, reléguant l'EI au second rang en dépit de l'intense activité de ses filiales.

"Cela met une pression considérable sur l'EI pour rester pertinente", estime Hans-Jakob Schindler, directeur de l'ONG Counter-Extremism Project (CEP). "Sans la guerre à Gaza, l'EI ferait les gros titres", ajoute-t-il à l'AFP. Or, "si personne ne parle de vous, vous n'existez pas".

S'associer de façon univoque aux actions du Hamas n'était pas une option: l'EI, sunnite et salafiste, abhorre le Hamas pro-iranien et proche des Frères musulmans. D'autant que le combat de ce dernier est centré sur la quête du peuple palestinien quand l'EI veut rétablir un califat global pour mieux conquérir le monde.

Contrairement à Al-Qaïda qui a immédiatement salué l'opération du Hamas, l'EI a donc pris le temps de soigneusement calibrer ses propos.

"Au Proche-Orient, l'ennemi de mon ennemi n'est pas forcément mon ami", note Laurence Bindner, co-fondatrice de JOS Project, plateforme d'analyse de la propagande extrémiste en ligne.

Début janvier, la centrale jihadiste a revendiqué le double attentat de Kerman, en Iran, où 89 personnes ont été tuées. Téhéran a pourtant juré de détruire Israël.

Mais l'EI, plutôt que choisir entre ses ennemis, "adopte une autre voie en se positionnant simultanément sur plusieurs fronts: un contre les Juifs et les soutiens d'Israël, un autre contre l'Iran et ses alliés".

- "Une ouverture" -

Fin octobre, dans son organe officiel al-Naba, le groupe a publié un texte intitulé "Les façons pratiques de soutenir les musulmans en Palestine", invitant ses sympathisants à attaquer Israël, ses soutiens occidentaux et les juifs du monde entier.

Début janvier, son porte-parole, Abou Houdhayfah Al-Ansari, a mis en ligne un enregistrement appelé "Et tuez-les où que vous les trouviez".

"Israël n'est pas juste un Etat mais un projet juif global et c'est dans cette bataille-là que les sympathisants de  l'EI veulent s'engouffrer", assure Laurence Bindner. "Cela justifie d’attaquer Israël, les juifs et tous ceux qui soutiennent le projet, y compris les Etats arabes qui normalisent les relations avec Israël".

En réponse au 7 octobre, Israël a lancé une vaste opération militaire sur Gaza, qui a fait près de 23.500 morts à ce jour selon le ministère de la Santé du Hamas, en majorité des femmes et des enfants.

L'EI peut puiser dans la guerre une dynamique puissante, estime Lucas Webber, co-fondateur du site spécialisé Militant Wire. "C'est une ouverture pour une pertinence et un succès accrus", assure-t-il.

Son inimitié à l'égard du Hamas "ne signifie pas que les jihadistes renonceront à tirer profit des combats pour leurs propres objectifs - pousser leurs sympathisants à frapper l'Occident, inciter les indécis à agir et radicaliser un potentiel croissant d'individus en colère".

- Concurrence -

Reste que pour défendre son positionnement revendiqué de leader mondial du jihadisme, l'EI a besoin de visibilité. Plusieurs attaques ou projets, d'ampleur limitée, ont été recensés ces dernières semaines en Europe.

En novembre, un Algérien présumé lié à l'EI a été arrêté en Italie. Le mois suivant, un professeur d'arabe et imam d'une mosquée de Madrid a été arrêté, soupçonné d'avoir recruté des jeunes pour le groupe. Et un Franco-iranien tuait à Paris un jeune touriste germano-philippin et blessait deux autres personnes, prêtant allégeance à la centrale.

"Une opération en Europe serait nécessaire" pour l'EI, redoute Hans-Jakob Schindler, qui affirme que le groupe y a "mis en place des réseaux depuis longtemps déjà. Ils ont maintenant besoin de faire quelque chose pour se replacer au cœur de l'agenda".

Et ce, au niveau planétaire. "Les leaders de l'EI considèrent que la priorité à ce stade est d'établir et d'accroître son influence, au Moyen-Orient ou en Afrique centrale", explique à l'AFP Eva Koulouriotis, experte indépendante de la région.

"La concurrence se joue sur qui peut conquérir la plus forte popularité au sein des sociétés islamiques et, par voie de conséquence, attirer plus de membres".